Témoigner puis écrire. Un travail collectif
L’équipe de l’AMO « Point Jaune » à Charleroi avait fait du bon boulot. C’était le sentiment du conseil d’administration et de la direction. Des travailleurs de l’équipe aussi. Il y avait l’envie de marquer le coup, de saluer ce travail. C’est l’idée d’un recueil de récits qui a émergé. Pour mettre en évidence la qualité des projets de l’association et l’implication des travailleurs.
S’il y a eu l’envie de valoriser les travailleurs, montrer du respect pour les enfants, les jeunes et leurs familles, expliquer les réalités rudes auxquelles certains ont été confrontés, a semblé aussi important.
Les récits se sont alors fait témoignages. Témoignages du travail mené par ces professionnels de l’Aide à la Jeunesse. Témoignages de ces instants de vies cabossées. Ce sont les regards posés par ces travailleurs-témoins qui ont apporté les éléments des différents récits. C’est leur façon de les raconter qui a aidé celui qui a écrit à structurer ces histoires. C’est parfois un regard plus collectif, celui des collègues, qui aura amené l’une ou l’autre nuance. C’est le ressenti et les émotions de celui qui a écrit, son style aussi, qui ont amené ces histoires à être couchées de cette façon sur le papier.
Raconter puis écrire, c’est donc un travail qui s’est voulu collectif. Un collectif auquel il manque des essentiels. Les jeunes et leurs familles n’ont pas participé au processus. Ç’aurait été intéressant. Ç’aurait été complexe aussi. Sans doute trop complexe pour cette première expérience. Les regards auraient évidemment été différents. Un peu décalés par rapport à ce qui est proposé ici. Beaucoup décalés peut-être. Complètement décalés ? Y a des chances…
Il n’y a pas à opposer les processus. Il y a à reconnaître le regard pertinent, nourri, et suffisamment acéré des professionnels-témoins. Beaucoup est dit dans ces récits. Des souffrances, des émotions, de la violence, de l’impensable. Il y a aussi de l’indicible derrière certains mots. Ce sont des histoires dans lesquelles ces professionnels de l’Aide à la Jeunesse ont voulu présenter la qualité de leur travail. Leurs compétences. Leurs projets. Leurs méthodes. D’où ils sont, et parce qu’ils voient que des situations s’améliorent, ils ont posé ce regard généralement positif. Cohérent et justifié. En conscience cependant que la qualité de leur travail restait trop souvent un sparadrap, au regard du quotidien vécu par certains parents, par certains jeunes, par certains enfants.
Celui qui a écrit aurait-il été confronté à ces enfants, à ces jeunes, à ces mamans, à ces papas, qu’il aurait peut-être dit la violence différemment, qu’il aurait présenté d’autres émotions ou d’autres manières de les vivre, que des souffrances auraient été racontées autrement. Et que ce qui est indicible pour celles et ceux qui ont raconté, pour celui qui a écrit, pour celles et ceux qui liront, ne l’aurait peut-être pas été dans ces mêmes histoires, racontées par ces familles et ces jeunes. Derrière d’autres mots, il y aurait eu d’autres indicibles.
Si les témoignages sont d’abord des histoires racontées, des moments d’aventures comme l’ont dit certains, ils disent aussi d’autres choses. Ils disent la violence avec laquelle doivent travailler les professionnels. Parfois la violence des jeunes. Surtout la violence qu’ils vivent ces jeunes, la violence qu’ils subissent. Les récits ne nient pas la responsabilité que portent certaines familles par rapport à cette violence. Ils disent surtout la violence sociale, la violence institutionnelle.
Alors ce recueil se fait interpellation. Interpellation à chacun. Interpellation aux institutions sociales. Aux institutions éducatives. Aux institutions socio-culturelles. Aux instances décisionnelles aussi. Surtout aux instances décisionnelles. Il reste pour beaucoup de travailleurs sociaux de l’Aide à la Jeunesse, et au-delà de ce secteur particulier de l’accompagnement social, il reste pour un monde associatif qui continue à s’interroger sur les réalités sociales, sur les projets dans lesquels on les inscrit parfois malgré eux, il reste cette incompréhension totale d’une société riche qui laisse tellement de monde sur le carreau. Ce que disent d’abord ces histoires, c’est la précarité et la pauvreté dans lesquelles vivent des familles et dans lesquelles les décisions qui les concernent les maintiennent. Ce que disent ces histoires, c’est l’incompréhension que des habitants de ce pays aux moyens importants vivent cette pauvreté et se retrouvent exclus de tellement de droits pourtant fondamentaux et inscrits dans des textes qui guident toute démocratie qui se respecte.
Ce que vous tenez en main, n’est qu’un petit livre contenant quelques historiettes. Il se veut aussi un appel à la décence des institutions, pour la dignité de celles et ceux qui subissent tellement les dysfonctionnements sociaux. Notamment, les jeunes et leurs enfants. Mais d’abord leurs familles. Parce que, c’est essentiellement en soutenant les familles, en les respectant, qu’on construira des solutions viables et pérennes pour les enfants.
Mais c’est donc un livre d’histoires. Aussi. Et sans doute d’abord. Un livre qui raconte des moments de vies d’enfants, de jeunes, de familles. Des histoires qui posent un regard inquiet. Mais aussi un regard tendre, un regard admiratif sur ces parcours et sur la façon dont certains des jeunes gardent la tête hors de l’eau.
Pour plus de renseignements :
Livre disponible sur demande auprès de Meryl Godfrin (